Les écrits Johanniques - 12 -

I – La scène de l’apparition et de la pêche miraculeuse (21,1-14) 

 

La symbolique du « pêcheur » est ici prépondérante.

 

I.1 Structuration

 

Une formule d’introduction (v.1) et une phrase de conclusion (v.14) encadrent le récit de la scène qui est composé lui-même de deux épisodes distincts : le récit de la pêche miraculeuse (vv. 2-8) et celui du repas sur la rive ( vv. 9-13). Notre analyse exégétique respectera cette structuration

 

 

I.2 Exégèse

 

A- Une inclusion significative

 

Le retour dans le v. 14 du verbe « se manifester » qui apparaît 2 fois dans le v. 1 révèle la conception qu’a l’évangéliste quant aux apparitions du ressuscité :

 

B- La pêche miraculeuse

 

On peut y distinguer deux subdivisions :

 

a) La pêche infructueuse (vv. 2-3)

Le meilleur commentaire de ce passage est peut-être la parole dite par Jésus en Jn 15,5 : «… sans moi, vous ne pouvez rien faire ».

Le texte montre que les pêcheurs avaient tout (humainement parlant) pour faire une bonne pêche : le nombre, l’expérience (des 7 disciples cités, 3 au moins sont des professionnels de la pêche) ; la motivation ou bonne volonté et la volonté tout court (ils ont travaillé toute la nuit sans arrêter)…et cependant, « ils ne prirent rien ».

Le message est clair : annoncer Jésus ressuscité, dans le monde juif et dans le monde païen (on est en Galilée) est une entreprise qui ne peut convaincre personne. A vue humaine, le filet de la parole ne peut que rester vide. La pêche miraculeuse montrera, par une image très parlante pour les disciples, que Jésus s’engage à remplir lui-même le filet de la parole apostolique lorsqu’elle sera dite en conformité avec sa volonté, dans son esprit...

 

b) L’apparition de Jésus et la pêche miraculeuse (vv. 4-8)

Ce qui frappe, c’est que Jésus n’est reconnu ni à son visage, ni à sa silhouette, ni à sa voix. L’impression dominante, c’est qu’il ne veut plus être connu de l’extérieur, à cause de sa présence corporelle, mais de façon intime. Pour cela, il va adopter une pédagogie différente pour « se manifester », une manière qui suscite l’attention des disciples en parlant davantage à leur coeur qu’à leurs sens. Par la question du v. 5, il les met en face de leur besoin qu’il avive, car il sait que plus le besoin est grand, plus l’amour de celui qui le comble est évident ; et c’est précisément grâce à la « lunette de l’amour » qu’il veut désormais être vu et reconnu.

Au-delà de la croyance selon laquelle le côté droit est de bon augure, ce qui motive les pêcheurs malheureux à obéir à l’homme du rivage, c’est la bonté, la bienveillance qui se dégagent de sa présence. Sa sollicitude lui confère une autorité de ton à laquelle les disciples ne peuvent résister. Leur docilité est récompensée au-delà de toute attente.

Sans Jésus, les filets restent vides malgré le labeur des pêcheurs ; avec lui, par sa seule parole obéie, les voilà pleins à craquer…

Si le disciple que Jésus aimait est le premier à découvrir le Seigneur dans l’inconnu qui se tient sur la rive, ce n’est pas seulement à cause du coup de main heureux dont il a été l’instigateur, c’est pour avoir discerné dans le conseil bienveillant de l’inconnu le signe d’un amour spécial, attentif au besoin de l’homme, un amour en tout point pareil à celui du maître sur la poitrine de qui il avait reposé. C’est lui qui enseigne à Pierre le mystère de la présence et de l’amour.

La réaction de Pierre, comparable à celle de Marie de Magdala et de Thomas, manifeste sa foi. Pierre se jette à l’eau, autrement dit il s’abandonne à celui qui vient de lui révéler son vrai besoin, son besoin fondamental, celui d’une présence attentive.

 

C- Le repas sur la rive (vv. 9-13)

 

Jésus tient à montrer que sa bonté ne consiste pas seulement à répondre aux besoins des disciples, mais qu’elle veut créer en eux la joie, leur faire plaisir.

Les disciples apprennent ainsi que servir, ce n’est pas seulement offrir des services précis, mais aussi savoir faire plaisir pour valoriser les autres et créer ainsi la vie de famille.

Le v. 11 offre au lecteur une belle leçon de réalisme mystique : tout en obéissant à Jésus, Pierre n’oublie pas de compter leur prise : 153 gros poissons. Quelle que soit l’interprétation donnée à ce chiffre de même qu’au fait que « le filet ne se déchira pas » (symbolique, dans le sens des anciens, ou littérale suivant la pensée de certains modernes), on retiendra que cette notule constitue comme la signature d’un témoin oculaire de l’évènement, témoin à la fois du réel et du symbolisme. Il n’y a pas d’opposition entre les deux. L’évènement, tout en ayant sa réalité propre, peut avoir été créé en vue de devenir le support d’un symbolisme qu’il suggère.

En les invitant à déjeuner avec un repas préparé pour eux à l’avance, Jésus révèle aux disciples jusqu’où va sa présence aimante : il est toujours au service des siens, il est venu, il vient pour cela…La tonalité eucharistique de la scène renforce cette interprétation. L’Eucharistie, le signe du suprême service, est le lieu où le disciple reconnaît le Christ ressuscité. Nous avons ici la contrepartie johannique de l’épisode lucanien d’Emmaüs (cf Lc 24,29-31).

La fluctuation entre la certitude et le doute qu’on peut noter chez les disciples révèle le mode mystérique de la manifestation du ressuscité. Il est réellement senti mais non maîtrisé…Il y a en lui quelque chose qui échappe à l’appréhension des disciples, sa présence suscite une question qui demeurera toujours sans réponse humainement satisfaisante… La réponse ne se trouve que dans la foi.

 

II - La mission de Pierre (21 ,15-19)

 

De la symbolique du « pêcheur », le récit passe à celle du « berger »

 

II.1 Structuration

 

Deux sous-sections peuvent être distinguées : 1) Le dialogue restaurateur ; 2) La révélation de l’avenir de Pierre

 

II.2 Exégèse

 

A- Le dialogue restaurateur (vv. 15-17)

 

Jésus continue de faire don de sa présence en apportant des réponses aux besoins de ses disciples. Même si la communauté dispersée par sa mort s’est reconstituée, sa solidité pose un grave problème : est-il bien juste que pierre, le plus indigne de la confiance de Jésus et de ses frères pour avoir renié son maître 3 fois avec serment, demeure le chef, le rocher sur lequel se bâtira l’Eglise ? Jésus va donner sa solution à cette grave question qui se pose à pierre lui-même autant qu’aux autres.

Le v. 15a montre que Jésus ne nie pas que Pierre ait démérité. Il l’appelle de nouveau, non par son nom de fonction « Pierre » (qu’il ne mériterait plus de porter), mais par son ancien nom « Simon, fils de Jean ».

Comment faut-il comprendre la question que Jésus lui pose pour amorcer l’entretien ?

« M’aimes-tu plus que ceux-ci » (ne m’aiment) ou « …plus que (tu n’aimes) ceux-ci » ? Faux problème car le second membre de l’alternative n’a pas beaucoup de sens.

Il faut, pour la comprendre, interpréter la question à la lumière de Lc 7,42, la parabole des débiteurs insolvables. Tous les disciples sont coupables de trahison puisqu’ils ont tous abandonné Jésus et se sont enfuis. Si tous sont redevables au maître et n’ont pas de quoi rembourser leur dette d’amour, Simon porte la plus grosse dette. La question est de savoir qui d’entre eux tous l’aime le plus maintenant qu’il leur a pardonné à tous. Ce devrait être Simon et jésus veut s’en assurer. Il compte en effet sur cet amour exceptionnel de Simon plus pardonné que les autres pour le rétablir dans sa fonction.

L’amour que Jésus attend de Simon devra amener le disciple à une option fondamentale : s’effacer par amour devant les initiatives de Jésus, comme Jésus s’est effacé par amour devant les initiatives de son père. Pour expliquer cet effacement plein d’amour et d’efficacité, Jésus parlait de son amour pour le Père en utilisant le verbe « agapein » (dans le texte grec) (cf. Jn 14,31). C’est donc le même verbe « agapas me » qui est utilisé par Jésus en s’adressant à Pierre. Il s’agit, pour Simon Pierre de dépendre de jésus, par amour, encore plus que les autres. Mais Pierre ne se sent pas les forces pour cette abnégation continuelle et parfaite, à l’exemple de Jésus. C’est pourquoi il répond à Jésus en changeant le mot grec de la demande (agapas me) par un mot moins riche, qui exprime, en même temps que sa bonne volonté, les limites conscientes de son amour (philo se).

Il est remarquable que Jésus, la troisième fois rejoint le disciple sur le terrain où celui-ci pense pouvoir se situer en toute sincérité. Il adopte le verbe philein que Pierre ne cesse de répéter. Quand l’évangéliste note que Pierre fut attristé à la troisième question de Jésus, on se demande ce qui cause la peine de l’apôtre : le fait que Jésus lui pose la même question une troisième fois (comme pour lui rappeler son triple reniement) ou la manière dont la question lui a été posée la troisième fois (Jésus devant se résoudre à ne recevoir  que la philè au lieu de l’agapè qu’il escomptait). Je pense qu’une compréhension n’exclut pas l’autre.

Tout en confirmant les responsabilités qu’il donne à Simon d’être le berger de tout le troupeau sans exception (c’est le sens de la variété des termes utilisés : agneaux, brebis, agneaux), Jésus tient à bien marquer qu’il reste le vrai berger. Il affirme les trois fois que les brebis sont siennes. Simon n’a pas à se mettre entre le berger et les brebis, mais avec le berger pour les brebis.

 

B- La révélation de l’avenir de Pierre (vv. 18-19)

 

Jésus est le seul berger. Pierre, par amour du berger, deviendra berger dans le berger. Il collaborera, de tout son amour et de toutes ses forces, aux initiatives de l’unique berger. C’est en s’effaçant et en se perdant en Jésus qu’il sera pleinement lui-même. C’est en ne faisant rien par lui-même, en restant relié à la seule vigne, qu’il produira les fruits que Jésus a choisi de porter avec lui pour le bien de tous.

Solennellement, Jésus lui fait cette révélation. Une période de la vie de Pierre s’achève. Une autre dont il devra laisser le contrôle à Jésus va commencer. Le désir de fidélité qui habite Pierre permettra à Jésus de lui « nouer sa ceinture » pour lui donner jour après jour, des responsabilités, puis, à la fin de sa vie, jésus nouera encore sa ceinture pour l’associer à son martyre et à la rédemption.

La parole « suis-moi », qui conclut la révélation, éclaire définitivement la vocation du berger. Le berger précède le troupeau et le guide, mais en suivant l’exemple et les initiatives du seul berger véritable. C’est lui que Pierre doit suivre dans son amour pour le Père et son union à lui ; dans ses initiatives d’amour à l’égard de chacune et de l’ensemble des brebis, à l’égard de l’Eglise.

 

 

III - La destinée du disciple bien-aimé (21, 20-23)

 

Commentaire

La question de Pierre à Jésus au sujet de la destinée du disciple bien-aimé a souvent été interprétée comme une question de curiosité inconvenante.

Certes, la réponse de Jésus exprime sa responsabilité souveraine dans les missions qu’il confie à ses disciples ; il reste le berger qui choisit lui-même pour chacun de ses disciples une fonction. Ce n’est pas le rôle de Pierre seul. Mais précisément parce que Pierre, en tant que pasteur des pasteurs aura aussi à donner des missions en son propre nom aux uns et aux autres, on peut comprendre sa préoccupation quant au rôle de Jean, son compagnon intime et presque inséparable, son soutien : que dispose le maître pour ce précieux collaborateur. La préoccupation de Pierre est légitime et compréhensible, mais Jésus affirme qu’il garde l’initiative des plus grands choix dans l’Eglise. Le rôle de Pierre est de « suivre », c’est-à-dire d’accueillir et authentifier.

Mais quelle est la fonction dévolue au disciple bien-aimé par le Seigneur ?

Le texte ne nous renseigne pas sur ce point. Il apporte plutôt une rectification à l’interprétation inexacte qui a été faite de la parole de Jésus.

Plusieurs pensent que ce passage a été dit, écrit ou dicté par Jean en personne. En réalité, il est postérieur à l’apôtre et a été rédigé pour corriger la fausse opinion en cours dans la communauté, prétendant s’autoriser d’une parole de Jésus : la mort du disciple bien-aimé, dont on prétendait que Jésus avait dit qu’il ne mourrait pas, avait causé une grande surprise. Il fallait une explication ;  tout en conciliant l’autorité de pierre avec le grand crédit dont jouissait ce disciple, le texte entend  souligner la responsabilité entière que Jésus a voulu garder dans la direction de son Eglise.

 

La deuxième conclusion (vv. 24-25)

 

Deux témoignages achèvent l’évangile de Jean. Le premier est comme le sceau de la communauté des disciples de Jean (l’emploi du « nous » est un indice)

Le second témoignage porte sur l’expérience des membres de la communauté. Jésus ressuscité est présent dans la vie de tous et de chacun. Le ressuscité veut convaincre ses disciples par des signes d’amour et ces signes sont inépuisables…

 

 

 

CONCLUSION GENERALE

 

Nous pouvons emprunter ces mots de HARRINGTON pour conclure : le chapitre 21 constitue une sorte de post-scriptum. IL vient d’ailleurs fort à propos pour compléter l’évangile, en disant un mot de l’Eglise, à laquelle Jésus laisse le soin de continuer son œuvre. Le récit de la pêche miraculeuse (v.14) symbolise en effet les conquêtes de cette Eglise fondée sur Pierre (v. 15-17). Il y a une hyperbole dans la conclusion (21,25) et elle ne manque pas de force expressive. Elle n’a toutefois pas l’admirable solennité et la portée de la précédente (20,30-31). Il n’est pas besoin sans doute de rappeler que si ce chapitre est un appendice, il n’en constitue pas moins une partie essentielle de l’évangile, une partie qui a sa grande valeur.» BROWN ajoute que la conclusion du chapitre (21,24-25) « nous rappelle aussi que Jésus dans sa plénitude ne peut être contenu dans les pages d’aucun livre, pas même d’un livre comme le quatrième évangile ![1]



[1] W. HARRINGTON, Nouvelle Introduction à la Bible, 974

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