Le souvenir de l'Italien et de sa compagne enlevés au Burkina Faso fin 2018 est toujours vivant ici en Italie. Les deux compagnons ne sont pas les seuls kidnappés dans le pays ces dernières années. Ces épisodes, en réalité, sont une des conséquences de la triste situation que le Burkina Faso connaît depuis 2015 avec des attaques terroristes continues. Selon le rapport officiel du Ministère de la défense, qui coïncide fortement avec les statistiques de Human Rights Watch, plus de 100 000 personnes ont déménagé, près de 1 000 personnes ont perdu la vie et plus de 900 sont blessées ; plus de 900 écoles ont été fermées, privant plus d'un million d'enfants d'éducation. Interrogé sur la situation, l'Ambassadeur du Burkina Faso près le Saint-Siège, Robert COMPAORE, répond : " de mon point de vue, je peux vous dire que nous ne comprenons pas ce qui peut expliquer ou justifier ces actes ; ce qui est encore assez inquiétant, c'est le fait que ces attaques n'ont pas été revendiquées en grande partie. Pourquoi le Burkina Faso ? Pourquoi maintenant ? Et qui en veut tant à notre peuple, à notre cohésion sociale, à notre vivre ensemble, qui est unanimement salué et reconnu par tous ? C'est au Burkina dans son fort intérieur que l'on s’en prend".
En fait, ce problème ne semble pas toucher uniquement le Burkina Faso. Un certain nombre de pays connaissent une insécurité similaire : de la Libye, après la mort de Kadhafi, jusqu’au Niger en passant par le Mali. Comment y trouver une solution reste la question fondamentale. Madame Joséphine OUEDRAOGO, ambassadrice du Burkina Faso près le Quirinale, insiste sur ce point : " ce qui se passe au Burkina Faso est le reflet de ce qui se passe dans la sous-région de l'Afrique de l'Ouest et en particulier dans la région du Sahel. La solution est nécessairement multilatérale ". Mais comment trouver une solution multilatérale dans un contexte où les actions et surtout les appréciations de la situation ne sont pas concordantes dans ces pays touchés par le fléau ?
Pour ce qui est du Burkina Faso, il est vrai que dans le Nord et l'Est, les populations sont largement musulmanes ; mais il ne suffit pas d'être musulman pour être terroriste. Il y a d'autres problèmes, comme les grands bandits qui ne pouvaient plus agir parce que certains groupes sociaux d’autodéfense comme les Koglweoogo et les Doozo ces dernières années les empêchaient d'opérer ; ces bandits ont-ils peut-être rejoint les terroristes ? Sans oublier les soldats qui ont été radiés en 2011 et qui n'ont jamais été réintégrés dans l'armée. Enfin, l'arrestation et le procès des membres de la garde spéciale RSP (Régiment de Sécurité Présidentielle) de l'ancien président, sont autant de problèmes qui compliquent la situation sécuritaire au Burkina Faso. De nombreuses situations donc auraient probablement permis à l'insécurité de s'étendre sur le territoire et il y a aussi une bonne part de responsabilité du régime actuel parce que n’ayant pas adopté rapidement des mesures fortes de lutte et de dissuasion contre ces fauteurs de troubles de terroristes.
Cependant à partir d’opinions de personnalités importantes, liées à une analyse sociopolitique de la région du Sahel, on parvient à des conclusions de plus en plus crédibles dans cette situation d'insécurité. La cause de ce climat social se trouve certainement au-delà des frontières du pays.
En effet, il faut rappeler que la première attaque au Burkina Faso a eu lieu juste après l'élection du dernier président, Rock Marc Christian KABORE, précisément le 15 janvier 2016 contre l'hôtel Splendide et le restaurant Cappuccino, tuant 30 personnes de 11 nationalités différentes. C'est l'un des rares attentats revendiqués d’ailleurs par AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique). Une lecture scrupuleuse basée sur l’Insurrection de 2014 au Burkina Faso permet les arguments qui suivent.
Les Burkinabé en effet, fatigués de l'ancien système de gouvernement, venaient à peine de se soulever fin 2014, contre l'ancien président Blaise COMPAORE, contraint de se réfugier à l'extérieur du pays. Ce Blaise était devenu un homme de médiation dans la sous-région. En 2006, il est médiateur dans le cadre du dialogue intertogolais ; en 2007, il est encore présent dans la médiation entre Guillaume SORO, chef de la rébellion en Côte d'Ivoire et Laurent GBAGBO, le Président de la Côte d'Ivoire de l'époque ; en 2012, il intervient également dans la crise du MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) au Mali. Le Burkina Faso était donc un terrain ouvert à toutes les parties : les protagonistes et les antagonistes pouvaient fréquenter tranquillement le pays. Des sources proches du système reconnaissent que Blaise COMPAORE était un nœud qui facilitait la vente des armes à toutes les parties prenantes, aussi bien aux dissidents qu’aux régimes légitimes. Il semble même qu’il était également le personnage clé, par lequel, les antagonistes des mouvements rebelles et d’opposition vendaient leurs matières premières comme l'or, les diamants, le cacao, etc. pour leurs activités. Selon le journaliste africaniste Francis KPATINDÉ, "l'acheteur [Blaise COMPAORE] était le pompier pyromane local ". Et toujours selon le même africaniste, " Blaise COMPAORE apparaît comme l'allié de l'Occident, le médiateur dans les crises sociopolitiques en Afrique... depuis la disparition de Houphouët-Boigny en 1993, il est devenu l'allié privilégié de la France..." Une France qui a tant d'intérêts à protéger sur les terres du Sahel. On se souvient toujours avec tristesse que ce Blaise était le chef du coup d'Etat dans lequel a été tué Thomas SANKARA. – Thomas SANKARA a été le cinquième président du Burkina Faso de 1983 à 1987. Il était révolutionnaire et clairement opposé à la politique française en Afrique. Il est aujourd'hui l'idole de la jeunesse panafricaine plus déterminée que jamais à réaliser la liberté politique et économique de l’Afrique, spécialement de l’espace des pays colonisés par la France. – Thomas SANKARA étant mort sous l’action de ceux qui lui en voulaient à l’intérieur et à l’extérieur, le terrain était libre pour recommencer toutes les opérations françaises dans la région.
Maintenant que l'allié des français, Blaise COMPAORE, est hors de contrôle et qu'en même temps les présidents actuels dans la sous-région se battent avec acharnement pour une réelle indépendance économique, notamment la libération du franc CFA (franc des Colonies Françaises d'Afrique) et que la majorité d'entre eux ne veut être l'intermédiaire dans la vente d'armes dans la région comme le faisait Blaise COMPAORE, on constate une augmentation de l'insécurité. Ainsi, les chefs d'État sont obligés de demander l'aide militaire de la France. Toutefois, cette présence française sur le terrain est considérée ces derniers temps comme une opportunité pour ceux-ci de faire des affaires directement avec les terroristes. Par exemple, l'armée du Mali a perdu plus de soldats en 2019 avec la présence des soldats français que lorsqu'elle opérait toute seule. Certains montreraient même de nombreuses photographies de soldats français au Sahel livrant armes et moyens de locomotion à des groupes terroristes. Tout cela est possible parce que les armées des pays n'ont pas la capacité d’identifier à temps, ni d'intercepter les avions cargos qui pourraient descendent dans le désert pour livrer du matériel aux groupes terroristes. On se rappelle l’interdiction récente de l’armée du Burkina Faso à tout engin voulant non identifié de passer au-dessus de ses zones d’opération. Sans compter la déception de tant de chefs militaires de la sous-région qui trouvent que la collaboration avec les soldats français sur le terrain est difficile et parfois litigieuse parce qu’ils font leur sauce à part au lieu de suivre les recommandations des militaires sur place. Très récemment d'ailleurs le 09 février 2020, le Président de la Guinée Equatoriale Obiang, après avoir financé entièrement à plus de 20 millions de dollars la construction du Siège du Comité des Services de Renseignement et de Sécurité en Afrique (Cissa) à Addis Abeba, dénonce l'ingérence de l'extérieur en Afrique et souhaite la mise en orbite d'un satelite militaire propre à l'Afrique.
Il est donc clair que si les présidents de la sous-région veulent une indépendance totale, il sera difficile pour la France de continuer à exploiter les richesses du sous-sol dans la région. La création d'un pays indépendant au Sahel, un endroit stratégique, semble donc une alternative. C'est pourquoi certains hommes politiques français soutiennent sans vergogne le MNLA et imposent aux dirigeants maliens l'obligation de dialoguer avec ces rebelles plutôt que d'aider l'armée malienne à les combattre sérieusement. Récemment, le chef de la Minusma à Kidal, le français Christophe Sivillon, a été déclaré Persona Non Grata par les autorités maliennes et a été expulsé du Mali le 10 décembre 2019, parce qu’il a tenu des paroles le 30 novembre 2019 qui laissaient croire que l’Azawad soit un état à part entière. Ainsi, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, la France serait en train de préparer sa présence avec l’avènement de l’Azawad. Non seulement pour profiter directement des ressources minières de l'Azawad, mais aussi pour protéger les grandes compagnies françaises présentes dans les environs, comme Areva, qui extrayait autrefois 80% et maintenant 35% de son uranium au Niger, et Total qui extrait du pétrole en Mauritanie, sans parler des milliers d’entreprises françaises qui accaparent les monopoles sur tous les secteurs économiques de tous les pays de la sous-région. C’est en définitive, pourrait-on le dire, le néocolonialisme qui produit encore des dégâts humains sous le couvert du terrorisme au Burkina Faso comme dans la sous-région.