Le prophétisme: Composition et Théologie de Isaïe, Jérémie et Ezéchiel

Nous l’avons souligné : il y a comme un lien qui unit ces trois prophètes. On retrouve davantage chez eux des symboles très forts de message. Leur vie constitue leur message. Ils sont appelés ‘‘les grands prophètes’’ parmi les prophètes. Bref, découvrons-les dans leurs œuvres et dans leurs messages théologiques.

 

1.    Le livre d’Isaïe

Né vers 765 de Amos, Isaïe Yesha’yahu (Dieu sauve) est judéen. Il a une prophétesse comme femme et deux enfants (Is7, 3 ; 8, 1-3). Son ministère se situe entre 740 et 700 avant JC. Et selon He11, 37, il serait mort martyr sous Manassé.

Si à la base de l’œuvre se trouve le prophète en personne, il est à noter que cette œuvre a été travaillée et même complétée par des disciples ou des rédacteurs, fidèles interprètes du prophète. Ainsi, il ressort ce qui suit :

-Le Proto-Isaïe (1 – 39) communément attribué au prophète lui-même (VIII°S. avt JC)

1-12 : collection d’oracles, œuvre d’Isaïe lui-même.

13 - 23 : suite de menaces adressées aux nations païennes dont certaines sont du prophète.

24 - 27 : texte curieux mi-liturgique, mi-eschatologique, appelé souvent « la grande apocalypse »

28-33 : déclarations contre Samarie et Jérusalem, dont une grande partie revient au prophète.

34 -35 : des oracles postexiliques, groupes sous le titre « la petite apocalypse »

36 - 39 : un appendice historique des disciples du prophète dont on retrouve des traces en 2R18 – 20.

-Le Deutero-Isaïe (40 – 55) (VI°S. avt JC)

Cette partie du Livre d’Isaïe serait ajoutée par un prophète anonyme qui a connu l’exil, vu son contenu (consolation : 40, 1-11 ; délivrance de captivité : 40, 12 – 48, 22) ; résurrection de Sion : 49 – 55).

 

-Le Trito-Isaïe (56 – 66)

Ce livre serait l’œuvre d’un ou de plusieurs rédacteurs postexiliques. Dieu se manifeste avec retard (65 – 66) et le peuple doit se régénérer (57, 1-5 ; 59, 1-14 ; 58, 1-12…)

C’aurait été intéressant de parcourir la théologie dans la logique des trois livrets qui composent l’œuvre d’Isaïe, mais sauvegarder l’unité visible de prime abord permet de ressortir une théologie de l’ensemble de l’œuvre. « le message du livre est très riche : sainteté de Dieu ; royauté de Dieu ; obligation pour le peuple choisi d’avoir une foi vive, agissante ; annonce de la venue du Roi-Messie [l’Emmanuel] avec Jérusalem comme centre de son Royaume »[2].

La sainteté de Dieu : Yahvé Dieu d’Israël est un Dieu roi, transcendant, puissant, mais surtout saint. Sa sainteté est telle qu’elle exige du juif la pureté, la fidélité, la justice et la piété (6, 3-5).

La foi et le monothéisme intégral : pas de vie sans foi chez Isaïe (7, 9) et seul Dieu peut sauver, quelque soit la situation (8, 13 ; 28, 16 ; 30, 15). Au milieu de toutes les tendances païennes qui promeuvent l’idolâtrie de tout genre, le prophète affirme l’unicité de Dieu (40, 18. 25 ; 43, 10-13…)

Le serviteur souffrant : c’est un personnage très spécial. Il prend sur lui les péchés du peuple pour le sauver. A cause de sa justice, il est justifié par Dieu lui-même (42, 1-9 ; 49, 1-9 ; 50, 4-11 ; 52, 13 – 53, 12).

Le messie : il est identifié à l’Emmanuel « Dieu avec les hommes ». C’est un descendant de David qui fera advenir la justice, le droit et la paix véritable (2, 1-5 ; 7, 10-17 ; 9, 1-16 ; 28, 16-17).

L’eschatologie : Le salut que Yahvé réserve à son peuple est proche (56, 1) mais c’est le peuple qui retarde l’échéance de ce salut par ses injustices (57, 1-5). Mais Yahvé viendra  et ce sera le salut pour les pauvres.

Yahvé le Dieu unique est un Dieu Puissant et Saint. Israël doit avoir une foi vive en ce Dieu unique afin de mieux se disposer à accueillir le salut qui adviendra par l’Emmanuel, un salut qui atteindra les autres peuples.

2.    Le livre de Jérémie

Né vers 650, Jérémie « Yahvé exalte », fils d’Hilquiyyahu est originaire de Anatot et a vécu dans le célibat (15, 17). Il serait mort dans un exil forcé en Egypte.

Le livre s’est formé en plusieurs étapes.

Un premier rouleau (605-604) qui contient des oracles du temps de Josias (1, 4 – 6. 30) et de Joiaqim. Ce serait l’œuvre du prophète en personne (7 – 20 ; 25 – 49, 33 ; sauf 46, 13-28). Le chapitre 36 précise aux vv21-23 qu’un premier rouleau a été brûlé et aux vv27-28.32, il est question d’un deuxième rouleau. Et c’est peut-être ce deuxième rouleau que le prophète a laissé à ses disciples dont Baruch (36, 32) est le plus connu.

Compléments au rouleau : Baruch serait la personne qui a le plus travaillé à ajouter ces compléments dont il est question. Il y a des oracles et des menaces écrits après 605-604 (10, 17-22 ; 12, 7-14 ; 13, 12-19) ; deux livres contre les rois et contre les prophètes (21, 11 – 23, 8 ; 23, 9-40). Des confessions (11, 18 – 12, 6 ; 15, 10-12).

La biographie de Jérémie, probablement rédigée par Baruch. La suite chronologique de cette biographie est la suivante : 19, 2 – 20, 6 ; 26 ; 28 – 29 ; 34, 8-22 ; 36 ; 37 – 40 ; 45 ; 51, 59-64.

L’édition exilique : c’est à Baruch dans la communauté des exilés que l’on doit placer le travail définitif qui aboutit à notre livre actuel. Certains textes furent retouchés en fonction de la situation nouvelle : réconfort aux exilés (27 – 29) ; consolation de Juda associé à Israël (30 – 33). Vers la fin de l’exil, un rédacteur donna au livre de Jérémie sa forme définitive.

La nouvelle alliance se caractérise par trois points clefs : l’initiative divine du pardon (31, 34) ; la responsabilité et la rétribution personnelles (31, 39) ; et l’intériorité de la relation personnelle avec Dieu.

L’effet purificateur de la souffrance. Le progrès spirituel de Jérémie se lit dans ses confessions. Il se sent accablé par le fardeau et les exigences humainement intolérables de sa tâche prophétique apparemment vouées à l’échec (1, 6 ; 17, 16 ; 20, 7-9). Paradoxalement, ces souffrances lui valurent une obéissance et une fidélité lucide à sa conversion et à sa mission prophétique.

La conversion est le thème central de la prédication de Jérémie. Le péché rompt l’amitié entre Dieu et l’homme (4, 4 ; 18, 12). Et la conversion, revirement intérieur vers Dieu, source d’eau vive, doit être totale (2 – 3).

L’espérance. Jérémie ne fait pas qu’arracher, démolir, renverser et exterminer ; il bâtit et plante aussi (1, 10). Jérémie est le premier à utiliser le terme « pauvre de Yahvé ». et les textes relatifs au « petit reste » (13, 23 ; 23, 3), au « germe de David » (Le Messie) (23, 5 ; 33, 15) et à l’alliance nouvelle (31, 31-34), sont porteurs d’espérance.

La parole de Dieu. Le grand acteur du livre de Jérémie est sans doute la Parole de Dieu qui s’impose au prophète. Elle est efficace et triomphe de toutes les oppositions (26 ; 36). La vie de Jérémie elle-même, son célibat… sont un signe fort du message que Dieu lance à son peuple.

La Parole de Dieu est vivante. Face aux péchés du peuple, la conversion s’avère nécessaire et la souffrance a un effet purificateur. La grande espérance du prophète est que l’ancienne alliance s’en ira pour faire place à une alliance éternelle dont les racines seront dans le cœur même de l’homme.

 

3.    Le livre d’Ezéchiel

Prêtre et prophète (1, 1-2), Ezéchiel (Que Dieu rende fort), fils de Buzi voit la fin de Jérusalem. Il fait partie également des premiers exilés à Babylone en 597 et est veuf (24, 1).

Le stade des pièces détachées. Il faut dire qu’Ezéchiel n’était pas scribe. Cependant, il a mis par écrit lui-même, ses œuvres prophétiques (extases, actions symboliques et Paroles de Yahvé). Ces écrits constituent la partie la plus importante de l’œuvre. Orateur et écrivain à la fois, on constate que certains écrits sont rédigés avant le prêche (1 – 3, 15 ; 33, 1-6. 10-20) et d’autres sont rédigés après le prêche (16, 1-43 ; 18, 1-20 ; 13, 1-27 ; 36, 16-38). Etant écrivain, on peut constater des recharges, des correctifs et des relectures de ses propres œuvres.

Le stade des recueils. Les matériaux ont été regroupés selon leur origine, leur contenu apparenté, ou autour des mots crochets : épée (6) ou idole (21). Des séquences ont été rompues, des morceaux de dates différentes ont été rapprochés ; des prophéties de bonheur ont été juxtaposées à des oracles menaçants, des gloses ont été ajoutées (11, 14-21 ; 16, 22-24). Il est généralement admis que le prophète a joué un certain rôle dans la constitution de ces recueils.

Transcendance et miséricorde de Dieu. La transcendance de Dieu ressort dans l’omniprésence, l’omnipotence et l’omniscience de Dieu contenues dans la métaphore « Fils d’homme », dans la vision inaugurale du prophète, dans la dénonciation du péché d’orgueil et dans l’expression étendue sur l’honneur du nom de Yahvé qui sauve son peuple pour l’honneur de son nom (20) et pour la honte et la confusion d’Israël (16, 63). Et l’alliance ancienne est remplacée par une alliance éternelle (16, 60 ; 37, 26+).

La responsabilité individuelle dans le péché. L’ancienne conception selon laquelle les enfants partagent le châtiment de leurs pères (18, 2+), donne place au principe de rétribution personnelle (18, 4). Cependant, le salut est un don gratuit de Dieu.

Le renouvellement intérieur. La responsabilité individuelle dans le péché appelle de lui-même la conversion individuelle. Il est important pour l’homme de se convertir permanemment. Car le bien d’antan n’a de valeur devant le péché d’aujourd’hui et le mal d’antan trouve son pardon dans le pardon d’aujourd’hui également (18, 21-24 ; 33, 3). Mieux vaut alors se convertir continuellement pour avoir un coeur nouveau et un esprit nouveau (18, 31) car Dieu lui-même donnera un cœur nouveau, un cœur de chair (11, 19 ; 36, 26). La théologie de la grâce commence à jeter ses bases là !

La réaction de Dieu est juste, vu le péché du peuple. Chacun est coupable et responsable de ses péchés. Cependant, Dieu justifiera son peuple en le ressuscitant.

                                                                                                      

Conclusion

 

De nos jours, on ne pourrait parler d’Israël sans parler de ses prophètes. Avec courage et conviction, ceux-ci n’ont ménagé aucun effort à témoigner de Dieu et à livrer son message aux hommes de leur temps. Ils touchent sans exception à la vie morale, politique, sociale et religieuse du peuple. Fidèles à leurs fonctions devant Dieu et le peuple, ils ont permis à Israël d’avoir une crainte de Dieu et ils ont préparé les cœurs à mieux accueillir le Messie qui s’est révélé dans la personne du Christ. Bien que Jésus soit venu clore tout prophétisme parce qu’il n’existe pas de messager de Dieu plus que sa Parole faite chair, le message des prophètes interpelle encore aujourd’hui notre monde pour que nous nous maintenions  dans une foi réelle et dans une intimité sincère avec Dieu. Par eux nous pouvons mieux entendre la Parole de Dieu. Encore faut-il que nous leur prêtions une oreille attentive !



[1] Pour cette partie, nous nous sommes servi de la thèse n°3 de l’année passée et nous l’avons complété avec Le Cours polycopié sur les prophètes de l’Abbé Jean-Marie SAWADOGO

 

[2] J. DHEILY, La Bible pour notre temps, Mame, Paris, 1970, p.487.

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