Le contexte actuel du débat sur le sacerdoce des femmes
1- L'ordination des femmes, une question christologique
C'est la question névralgique et le terrain où se situe l'essentiel de l'argumentation: Faut-il voir dans le fait que Jésus n'ait appelé que des hommes dans le groupe des Douze un élément essentiel voulu pour lui-même par Jésus, ou simplement une considération d'opportunité, Jésus n'ayant pas cru bon, sur ce point, d'aller à l'encontre de la traditionnelle répétition des rôles entre hommes et femmes qui était celle de la société juive d'alors?
Pour Jean-Paul II, la réponse est évidente: « En n'appelant que des hommes à être ses apôtres, le Christ a agit d'une manière totalement libre et souveraine. Il l'a fait dans la liberté même avec laquelle il a mis en valeur la dignité et la vocation de la femme par tout son comportement, sans se conformer aux usages qui prévalaient ni aux traditions que sanctionnait la législation de l'époque. » (Lettre apostolique Muleris dignitatem 1988).
Mais cette évidence est loin d'être partagée par tous les théologiens! Certes, le Christ manifeste tout au long de l'Evangile une étonnante liberté. Mais cette liberté ne l'amène pas nécessairement à prendre systématiquement le contre-pied des pratiques ambiantes. Comme le remarque Joseph Moingt , « dans une société et dans une époque où c'était l'affaire des hommes de s'occuper des choses publiques, d'enseigner et de gouverner ,tandis que les femmes vaquaient aux choses domestiques, à l'éducation des enfants, à la tenue de la maison, aux relations familiales, Jésus à pu s'inspirer de ces us et coutumes sans y voir autre chose qu'une sage répartition des tâches fixées par la tradition de son peuple, sans y déceler aucune atteinte à la dignité de femme,aucune discrimination suspecte,et sans même songer à s'en démarquer,puisqu'il ne trouvait rien de contraire à l'esprit de son Évangile. Il est donc vraisemblable qu'il a choisi des hommes sans que l'idée lui vienne qu'il pourrait appeler aussi des femmes à la charge (...) Ce fait n'offre donc pas l'évidence d'une disposition divine révélée, il peut trop facilement s'expliquer par d'autres motivations, sociologique peut-être, mais étrangères au type de discriminations, avant tout religieuses, contre lesquelles réagissait Jésus. »[1] On ne déduit pas l'obligation, pour les successeurs des apôtres, d'être d'abord circoncis! Et que penser de l'argument -non repris dans la lettre apostolique de 1994- de la déclaration inter insigniores selon lequel "quand il faut traduire sacramentellement le rôle du Christ dans l'eucharistie, il n'y aurait pas cette ressemblance naturelle qui doit exister entre le Christ et son ministre si le rôle du Christ n'était pas tenu par un homme "? A ce compte là , on ne voit pas bien comment un prêtre africain ou japonais ressemblerait plus au Christ qu'une femme de la Palestine! Dire que le prêtre agit « in persona Christi » ne signifie pas qu'il tient le rôle du Christ, comme dans une action théâtrale. D'ailleurs, dans l'eucharistie, ce n'est plus seulement le « Fils de Marie »qui agit, mais, avec l'Esprit le Christ ressuscité, dont le nouveau mode de présence corporel n'a probablement plus grand chose à emprunter à la sexualité (Mt 22,23-30). Il semble donc un peu hasardeux d'affirmer que le Christ-Epoux étant du sexe masculin,une femme ordonnée ne pourrait agir « in persona Christi » à cause de son sexe.
2- L'ordination des femmes, une question socio-politique
Sous la double poussée, d’une part du mouvement féministe, et d’autre part de la culture démocratique pour laquelle ils revendiquent une place dans l’Eglise, nombre de catholiques en viennent à poser la question du sacerdoce en termes de « pouvoir » et de rapport de « force ».
Quelle place occupe la femme dans l’Eglise ? D’une manière générale depuis la naissance du christianisme jusqu’à la Reforme, la femme, même si ses vertus étaient exaltées, restait au yeux de l’Eglise un personnage dont il fallait se méfier .Cela n’empêcha pas certaines femmes, au caractère trempé, de devenir des saintes admirables.
Aujourd’hui après la Réforme et les bouleversements produits par le siècle des Lumières, nous assistons progressivement à une prise de conscience de la femme dans l’Eglise. Une place privilégiée qui est reconnue dans la transmission de la foi, des valeurs morales et de l’action caritative.
Ces rôles ne feront que croître et s’embellir aux XIX ème et XXI ème siècles. La femme laïque comme la religieuse apporteront leur contribution au « sauvetage de l’humanité ». Mais le regard du Magistère durant tout ce temps restera figé sur des positions conservatrices. L’émancipation de la femme sera regardée avec méfiance, avec crainte même[2].
Ainsi donc derrière le refus de l’Eglise catholique d’ordonner des femmes prêtres, il faut voir la volonté farouch e de la part d’hommes clercs de garder leurs pouvoirs avec en prime, la crainte d’une féminisation totale de l’Eglise ? Ou bien c’est l’héroïque fidélité à une longue tradition qui dit quelque chose sur Jésus-Christ sur la réalité de son incarnation, de l’Eglise née d’une initiative de Jésus lui-même et enfin de la société en général ?
Face à ce débat, certain utilisent une argumentation par citation de textes bibliques qui permet à la fois de perpétuer un sacerdoce porteur de pouvoir et exclure la femme. Or nous estimons que pour aborder correctement la question de la femme qui, à l’égal de l’homme est appelée à être sauvée en recréant ce monde-ci, c’est donc dissocier sacerdoce et pouvoir. C’est proclamer la fin du sacerdoce du temple, en faveur du sacerdoce chrétien. De cette manière, nous laissons au pouvoir toute sa place, une place résolument humaine qu’aucune fonction ne pourra plus investir au nom de Dieu. Dès lors le sacerdoce ne peut et ne doit se retrancher dans une symbolique efficace pour défendre les prérogatives de l’institution masculine du pouvoir ( potestas sacra)[3] .
3- L'ordination des femmes, une question oecuménique et pastorale.
Au regard de toutes ces données, une chose au moins est sûre: le ministère presbytéral n'est pas de l'ordre d'un droit que tous les baptisés pourraient se prévaloir ou réclamer, mais d'un appel personnel que le christ adresse à certains, et que l'Eglise authentifie et concrétise par une mission.
De nos jours les résultats contraires de la science théologique et de la pratique oecuménique, la rhétorique autoritaire du magistère invite à s'interroger sur les intérêts qui motivent ce discours de pouvoir. En fait, il ne s'agit plus d'un « problème de la femme » la question va au coeur même et à l'intégrité de l'Eglise et de la théologie. Les questions qui surgissent sont celles-ci: Quel genre d'auto compréhension théologique et ecclésiale occupe le devant de la scène dans l'interdiction d'ordonner des femmes?
Pourquoi Rome recourt-il à des stratégies de censure et de répression au lieu d'argumenter et de persuader? Quelles sont les peurs qui continuent de motiver l'exclusion des femmes par rapport aux sacrés?
Pourquoi la lutte des femmes pour la pleine citoyenneté dans l'Eglise suscite-t-elle cette misogynie peureuse? On raconte l'histoire d'une fille qui avait été réprimandée dans une école catholique pour avoir voulu jouer le rôle de Jésus dans la comédie musicale (Jésus superstar). Après avoir été remplacer par un garçon, elle se plaignait en ces termes: « Je ne voulais pas être un homme. Je voulais simplement proclamer l'Evangile comme Jésus l'a fait. »
Alors, que pouvons-nous dire d'une telle déclaration? S'il n'y a pas de réponse théologico-pastorale acceptable à l'appel d'une jeune femme désireuse de servir et de prêcher l'Evangile, pourquoi donc les évêques, partout dans le monde, ne prennent-ils pas position contre la politique du pouvoir qui semble bloquer la croissance de l'ekklesia? Il est de notre devoir de revendiquer notre propre autorité spirituelle en tant que membre de l'Eglise et à poursuivre la lutte pour une Église plus juste qui soit vraiment catholique et capable d'apprécier les talents et dons spirituels de tous ces citoyens pour créer des communautés et des sociétés de justice.